PROJETS

De Charles Malgouverné au prince moldave Michel Stourdza (1834-1849) : quelle est ma mission ?


Trois personnes me font remonter le temps et constituent un lien presque direct avec le prince Michel Stourdza/Sturdza (Mihail Sturdza, en roumain) depuis mai 2013. Je vous invite à découvrir plus loin cette histoire.

Passionnée par la langue française, je commence une thèse de doctorat à l’Université de Strasbourg sur le sujet « Le français en Moldavie », en 2007, avec un financement propre, car les bourses d’études en sciences du langage sont rares. La phase finale de rédaction de la thèse me demande beaucoup de temps et de concentration. Avec une équipe d’amis, nous élaborons un projet de financement participatif appelé « Moldova, mon amour » pour récolter des fonds et pouvoir me consacrer entièrement à la rédaction. Par son originalité, le projet devient rapidement visible dans les médias, en France. Suite à un reportage sur une chaîne TV nationale, je suis contactée par Michel Meyer, en mai 2013 :

[…] Mon arrière-arrière-grand-père est né en Lorraine en 1811. A Lunéville, il a connu des élèves, enfants moldaves, dont les fils du prince Michel Stourdza. Muni de recommandations, il est allé enseigner le français en Moldavie. A fait de la politique avec Victor Place, consul de France, vers 1856. J’ai une grande partie de ses mémoires.
Après des échanges par courriel et téléphone, Michel Meyer vient à Strasbourg en août 2013 et, avec sa grande générosité, son sourire lumineux et son beau dynamisme, il m’apporte un trésor : une mallette contenant les mémoires de Charles Malgouverné, des photos, des lettres, des informations sur l’arbre généalogique de sa famille et d’autres éléments intéressants et précieux. Je partage ici quelques photos et une vidéo de cette magnifique rencontre avec un passeur d’histoire.
Ainsi, le 21 août 2013, j’entre en possession des mémoires de Charles Malgouverné, écrits en 1873, dont la copie manuscrite (242 pages, cf. extrait ci-dessous) est effectuée par son petit-fils, Louis Delachambre, le grand-père de Michel Meyer qui vient 140 ans plus tard à Strasbourg pour les partager avec moi. Quelle chance inouïe !

Il y a environ 200 ans, dans les années 1832-1833, Charles Malgouverné est jeune enseignant au collège de Lunéville, ville située à 130 km de Strasbourg, en Lorraine. Dans ce collège, il rencontre et établit des liens avec des pensionnaires moldaves, parmi lesquels figurent les deux fils (nés du premier mariage) du prince régnant de la principauté de Moldavie, Michel Stourdza. Les jeunes Moldaves suivent tous les cours du collège en qualité d’élèves externes et sont en pension chez l’abbé Lhommée, professeur au Collège :

Cet ecclésiastique avait émigré pendant la révolution de [17]93, avait été à Vienne et là, engagé comme précepteur par le père du prince Stourdza, simple boyard, pour faire l’éducation de son fils. Cette éducation terminée, il était revenu en France quand elle se rouvrit aux émigrés. Le Prince Michel Stourdza, à son avènement au trône de Moldavie, envoya ses enfants à son ancien précepteur. Plusieurs autres enfants de bonnes familles les suivirent. (Extraits des mémoires de Charles Malgouverné)

Dans leurs conversations avec Charles Malgouverné, les Moldaves lui parlent en « termes élogieux » de la Moldavie, « […] de l’instruction qui n’est encore qu’un privilège nobiliaire, de l’estime et de la considération que l’on porte aux professeurs, aux précepteurs, de l’accueil que l’on fait aux Français, de la rémunération qu’un homme instruit peut attendre de ses leçons, de l’hospitalité des habitants. » (idem). Séduit par tous ces avantages qu’il peut avoir en Moldavie et « possédé du désir de faire fructifier ses modestes connaissances », Charles Malgouverné quitte la France pour la Moldavie en 1835, accompagné de son ami Tribout (de Richardménil, une commune près de Nancy) et de ses lettres de recommandation.

A Iassi, en Moldavie, Charles Malgouverné arrive le 1er novembre 1835 et y reste pendant 14 ans, jusqu’en octobre 1849, quelques mois de plus après la fin du règne du prince Michel Stourdza (juin 1849, règne commencé en avril 1834). Par son activité, par les liens qu’il crée, Charles Malgouverné joue un rôle remarquable dans l’enseignement du français. En 1835, le prince Michel Stourdza a fondé l’Académie princière Mihaileana, la première institution d’enseignement supérieur moderne de Moldavie. En 1847, il transforme l’Académie en « Collège français », la première institution publique bilingue de Moldavie, dont il confie la direction à Charles Malgouverné, qui dirige déjà une pension à Iassi. Deux ans plus tard, cette institution est fermée sous motif d’être contraire aux règlements organiques. Dans ses mémoires, Charles Malgouverné donne des détails sur sa nomination, les raisons de la fermeture de cette institution et les enjeux politiques dans le contexte du protectorat russe en Moldavie.

En effet, durant ses 15 années de règne, le prince Stourdza modernise la Moldavie, malgré le contexte russo-turque souvent contraignant. « Le Prince Michel Stourdza me tenait en estime, et, de loin en loin, son intention relevait mon courage », écrit Charles plus tard dans ses mémoires. Après son abdication en 1849, le prince se retire à Paris où il vit jusqu’à sa mort. Les séjours de villégiatures qu'il fait dans sa belle résidence de Baden-Baden, en Allemagne, le mettent encore en relations avec de nombreuses personnalités de Grande-Bretagne et d'Allemagne, notamment avec l'empereur Guillaume Ier et la reine Victoria.

A l’instar du prince, Charles Malgouverné quitte la Moldavie et s’installe à Paris en 1849. Il décède le 26 novembre 1881, en son domicile, à Charmes. La « lettre de condoléances de ses amis roumains lors du décès de Charles Malgouverné » adressée au Consul de France à Iassi, Louis Castaing, signée par 62 personnes, témoigne une fois de plus de la place importante que Charles Malgouverné a occupée dans le contexte éducatif, mais aussi politique moldave, comme on peut le lire dans ses mémoires. Ultérieurement, dans la Revue générale de l'enseignement de mars 1931 (Bucarest), lorsque le « centenaire de l'enseignement de la langue française » est célébré, le nom de Charles Malgouverné est mis en lumière, ainsi que dans les livres sur l’histoire de l’enseignement (1931) ou sur l’histoire des Roumains (1944) de Nicolae Iorga.

Le prince Michel Stourdza vit presque centenaire. Il décède à Paris le 8 mai 1884 et il repose à Baden-Baden, dans le caveau de famille de la Chapelle Stourdza, église orthodoxe qu’il fait construire au milieu des collines et des arbres magnifiques entre 1863 et 1866, en hommage à son fils Michel, mort à l’âge de 17 ans. Par ailleurs, en 1997, la Chapelle devient monument historique, dans une ville qui sera inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO en 2021, dans la catégorie des grandes villes d’eau d’Europe.

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Comme mentionné au début de ce témoignage, trois personnes me font remonter jusqu’au prince Michel Stourdza : Michel Meyer, que j’ai eu la chance de rencontrer, étant le petit-fils de Louis Delachambre qui a effectué la copie manuscrite des mémoires écrits par son grand-père, Charles Malgouverné en 1873, évoquant son voyage de 1835 et sa vie à Iassi, en Moldavie, jusqu’en 1849 sous le règne du prince Michel Stourdza. A part le lien direct avec le prince moldave Michel Stourdza dont ils témoignent, ces mémoires me font savourer la belle langue française des années 1870 parlée et écrite par Charles Malgouverné. De même, j’ai accès à un témoignage direct sur une époque importante pour l’histoire de la principauté de Moldavie et je découvre les liens créés entre les Roumains et les Français à cette époque-là à travers la langue française, dans un contexte européen de mobilité et circulation d’idées et de connaissances grandissantes. Connaître l’histoire de sa famille et ses réflexions sur différents sujets sociétaux au XIXe siècle est également un privilège.

Ma thèse de doctorat intitulée « Le français en Moldavie : entre héritage, tradition et mondialisation », soutenue en mars 2014, n’a pu valoriser qu’une partie de ces mémoires et informations reçues de la part de Michel Meyer (cf. pages 45-47, vol. I et pages 16-34 du vol. II, annexes), car la rédaction était en phase finale au moment de leur découverte. A présent, j’envisage de publier un livre qui les mettra en lumière et permettra à un public plus large de les apprécier, d’approfondir les connaissances sur des interactions culturelles et historiques de grande importance, à mes yeux. Est-ce important aussi pour la postérité ? Sans doute, surtout quand il s’agit d’observer et de consolider ce qui nous unit par le passé que ce qui nous sépare, dans cette Europe en construction continue !

Ce travail d’élaboration et de publication du livre me demande du temps, à part ma passion et mon enthousiasme qui sont toujours là, mais il nécessite également un financement. J’explore diverses pistes à présent, avec l’espoir que l’importance de ce projet soit perçue également par les potentiels contributeurs.

Amis, mécènes, équipes de recherche, représentants des collectivités territoriales (Lunéville, Strasbourg, Iasi, Baden-Baden,...), institutions privées, associations, je suis ouverte à vos idées, propositions et collaborations !